Le temps en économie

       

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                                                                                        « L’élément de temps est une des principales causes des difficultés que rencontrent les investigations économiques, difficultés qui font que l’homme, avec ses moyens limités, ne peut s’avancer que pas à pas. »  Alfred Marshall – Principes d’économie politique

 

Dans cet article, nous proposons une conception du temps économique applicable à un modèle d’échange. Deux acceptions sont proposées, le temps de convergence et le temps d’impact.

Dans un premier paragraphe nous rappelons de manière très succincte, les notions de temps habituellement utilisées en économie.  

  1.                          I) Notions de temps utilisées en économie  

                                                             Le temps économique réparti 

Toute économie divise l’activité en temps de travail et de non travail, c’est-à-dire   le loisir. L’approche est aisée pour des productions mesurables   pouvant être chronométrées, mais lorsqu’il s’agit d’activités intellectuelles, de services ou de produits de l’information, la tâche est bien plus délicate.     

                                        Temps et valeur 

Lorsque Robinson Crusoé utilisait sa planche, il devait certainement penser aux journées passées à la couper et avoir le sentiment d’amortir ce travail passé (Réseau d’activité à distance, Hubert Houdoy). Dans la théorie de la valeur travail, Marx définissait le temps d’activité nécessaire à la reproduction de la force de travail de l’ouvrier. Du côté de l’immatériel, la monnaie est également « impliquée » car elle permet de conserver de la valeur dans le temps ; taux d’intérêt et taux d’actualisation permettent de faire voyager une valeur dans le temps.  

                                   Le temps en termes 

Dans le but de simplifier l’analyse économique on distingue habituellement quatre termes :

  • le très court terme pendant lequel  seuls les stocks  sont susceptibles d’évoluer,
  • le court terme  correspondant à une situation d’équipement constant avec un emploi variable,
  • le long terme qui intègre les variations du capital,
  • le très long terme qui tient compte des évolutions structurelles. 

A ces périodes on pourrait aujourd’hui ajouter le « temps réel » des processus de production piloté par les processus informatiques du même nom. 

                                                 Le temps de la mémoire et des anticipations  

Pour prendre leurs décisions, les entrepreneurs et les consommateurs   anticipent des variables économiques plus ou moins liées à leurs activités. L’horizon des anticipations diffère selon le type de biens et le degré d’incertitude de la conjoncture. La notion d’anticipation combine le temps avec le   niveau de précision des variables anticipées. Ainsi, à un moment donné, on peut avoir des anticipations, de courtes ou de longues durées et associées à des données, précises ou floues.  

Les évènements, tendances et résultats du passé sont mémorisés avec plus ou moins de précision et de fidélité. Ils influencent les décisions au quotidien. Avec le temps, la mémoire s’estompe ce qui fait que les agents économiques reproduisent souvent les mêmes erreurs. On peut par exemple penser que l’éclatement de la bulle Internet commence à être oublié et que des phénomènes identiques se reproduiront dans d’autres secteurs.

Le temps de la mémoire et des anticipations relève évidemment de la psychologie ; il est question de temps perçu, de sensations et de comportements. Lorsque Keynes évoque les esprits animaux il s’agit surtout des décisions relatives à l’investissement pour lesquelles la composante temps est primordiale. Ajoutons que la mémoire humaine est telle que l’on se souvient mieux de ce qui s’est passé après l’évènement que de ce qui s’est passé avant ; ce qui est important car l’agent économique n’est pas en mesure d’analyser les causes qui ont précédé l’évènement.     

                                                                                 Le temps cyclique 

Le constat d’un niveau d’activité économique se reproduisant avec régularité a amené les économistes à expliquer et modéliser ces fluctuations ondulatoires. On a ainsi détecté des cycles de périodes différentes ayant des origines spécifiques et pouvant se superposer les uns aux autres. Plus particulièrement pour les cycles courts de quelques années, les agents économiques perçoivent les implications et les anticipent dans leur processus de décisions.   

                                                                                    Le temps fléché 

Au-delà du temps cyclique le temps fléché signifie que l’on passe nécessairement par des passages obligés, des étapes   qui datent le système économique. Marx annonçait la disparition inéluctable du capitalisme.  D’autres approches utilisent le temps irréversible et décrivent des phases de développement (économie rurale, médiévale, industrielle, post- industrielle). Par ailleurs on   qualifie d’irréversible le système de production industrielle qui transforme les ressources (pétrole, minerais en nouveaux produits qui ne pourront plus redevenir des minerais (fonte, plastic, engrais  alors que dans une économie agraire il y a un circuit fermé saisonnier (le cheval se nourrit d’herbe  elle-même  entretenue par  son crottin ).         

                                                          Absence du temps en théorie d’équilibre 

L’introduction du temps, dans la théorie néo-classique s’est toujours accompagnée de difficulté de méthode. Ceci s’explique en partie   par les limites des formalisations mathématiques en matière d’équilibre. En équilibre statique, toutes les variables agissent à la même date ; en équilibre dynamique on utilise le calcul différentiel pour simuler la croissance. Les tentatives d’introduction du temps dans les modèles néoclassiques (variations des préférences dans le temps) ne constituent pas vraiment un apport dans la mesure ou le temps est considéré comme une variable « standard » dans laquelle les hypothèses de données et de structure restent figées.  

                                                                              Le temps d’Hayek 

Dans l’explication des cycles de Friedrich Hayek, le temps est une composante particulièrement importante. Par le jeu des prix relatifs et des taux d’intérêts mal ajustés, il se produit des déséquilibres sur le marché des biens d’investissement d’autant plus forts que les détours de production sont longs. Ces déséquilibres mettent beaucoup de temps à se résorber, d’où l’apparition de cycles. 

                                                                               La mort à l’infini

Rappelons enfin que pour Keynes, à long terme, « nous sommes tous morts ! »,  et  que l’état a   cette extraordinaire faculté de  s’endetter à l’infini !  

  1.                                          II)  Temps de convergence et temps d’impact   

Nous proposons d’intégrer   le temps sous forme de deux périodes symétriques par rapport à la transaction. Celle qui la précède, la période de convergence et celle qui la suit, la période d’impact.  

                                                                          Le temps de convergence 

Avec le souci de simplifier à l’extrême plaçons nous dans le cadre   d’une micro-économie   en déséquilibre permanent. On définit le temps de convergence par la période qui débute au moment où co-existent besoin et bien et qui se termine au moment de la transaction. On retient le fait que bien et besoin coexistent afin de délimiter le périmètre entre l’économique de qui ne l’est pas encore. Le prix constaté à la fin de la période est un prix de déséquilibre ; nous partons de l’idée qu’un équilibre partiel correspond à une période intemporelle. Dans le cas  d’une    économie en parfait équilibre, dans laquelle les quantités offertes sont égales aux  quantités demandées  et se conclues à un prix d’équilibre, c’est-à-dire stable :  pour  des  consommateurs de croissants au beurre ,le bien produit ne change pas, la consommation est répétitive, à intervalles  réguliers (toutes les 24 heures), et les transactions quotidiennes ne font pas fait l’objet d’un processus de décisions (tout au plus quelques secondes  avant d’aller  chez le boulanger). Il n’est donc pas nécessaire d’intégrer la notion de temps dans un marché en équilibre permanent. Plus généralement dans les modèles néoclassiques qui décrivent une économie en équilibre global, la notion de temps est quasiment absente. Le temps de ces marchés est celui du tâtonnement entre l’offre et la demande sensé conduire au prix d’équilibre. Sur le marché de la bourse, géré    par informatique et télécommunications, le temps de tâtonnement est de l’ordre de quelques minutes voire de quelques secondes. Il est évidemment plus long pour des produits à productivité évoluant et répondant à des besoins sophistiqués (automobile, marchés hautes technologies …).

Nous préférons donc définir un   temps économique correspondant à une période de déséquilibre car dans cette période il y a de la part des offreurs et des demandeurs des activités d’attente, de prévisions, d’évolution de niveau d’utilité et de gains de productivité. En raison de ces activités d’observation et de décisions, les agents économiques ont une réelle perception du temps. A partir du moment où le marché devient stable le temps passé avant la transaction n’a plus aucune importance du fait que les agents ont conscience que la transaction aura lieu sans surprise pour ce qui   concerne le prix, la quantité et la date de la transaction.  

Il ne pourrait être question d’être plus précis dans cette notion de temps, et ce pour des raisons théoriques. Les théories de l’équilibre économique étant vastes, encore inachevées, et toujours ouvertes au questions fondamentales de l’existence d’un ou plusieurs équilibres, de ce qui se passe, entre deux équilibres et lorsque les données de comportement varient (voir extrait « équilibre et temps économique » ,  Les patrons sont-ils des mous ?  sur  https://www.theoreco.com. ).

Reprenons la définition d’une transaction   par rapport à ses attributs :

–        Type d’agent : offreur, demandeur, entrepreneur, ménage,

–        Type de biens : consommation, investissement, produit, service

–        Prix de la transaction,

–        Date de la transaction en tant qu’elle est agrégée dans un niveau de revenu global,

–        Destination : consommation, investissement, état, exportations,

–        Hypothèses de préférences des consommateurs et des producteurs

–        Degré de confiance dans les anticipations, …

 

Ajouter   le temps de convergence perçu par les agents économiques apporterait    des éléments supplémentaires d’analyse :

Une économie en déséquilibre partiel comprend les quantités des fonctions d’offres et de demandes pour lesquelles la convergence vers l’équilibre n’est pas achevée.

On définit alors le temps de convergence attribué à un agent qui a l’intention de réaliser un échange, par le temps passé jusqu’à la date de la   transaction de déséquilibre. Conformément à la définition de l’équilibre, ce temps témoigne donc de l’existence de biens demandés ou offerts n’ayant pu se concrétiser par une transaction.

 Comme pour une fonction globale, on peut alors envisager une agrégation de tous les temps de convergence associés à tous les agents ayant conclu une   transaction à un prix de déséquilibre. Ainsi à tout instant une économie se caractérise par un agrégat de temps de convergence. Au niveau des marchés le concept de   temps de convergence trouvera son utilité dans l’analyse de ce qui se passe au moment des soldes, dans une économie d’après-guerre ou à l’occasion de chocs technologiques. Mais le temps de convergence s’explique aussi par des facteurs psychologiques   bien connu des directions de marketing qui ne disposent pas pour autant d’explications : hésitations ou achats précipités, reports de décisions pour des biens   importants (automobile, immobilier) bien que le  besoin  existe   et que le prix soit  bien positionné. Plus globalement on   constate souvent, pour des raisons psychologiques, des   décalages de cycles entre des conjonctures de pays qui, pourtant devrait être en phase.   

                                                                    Le temps d’impact 

Dans un deuxième temps, nous définissons le temps d’impact, par la période qui débute au moment de la transaction et qui se termine à la fin de vie du bien en tant qu’il ne répond plus au besoin initial. Pour le croissant du petit déjeuner, le temps d’impact est de 24 heures, il est de quelques années pour un véhicule, de plusieurs décennies pour un tunnel.

 

On reprend ici le concept marketing de parc avec ses caractéristiques essentielles :

 –      Age

 –      Usure

–        Amortissement comptable

–        Pérennité

–        Vieillissement technologique

–        Remplacement 

–        Positionnement tarifaire

–        Spécificités juridiques

–        Phénomène de mode

–        Cycles 

Pendant le temps d’impact il y a de la part de l’offreur, une écoute, un suivi, une stratégie. Le boulanger prévoit sa production, l’opérateur de télécommunication élabore une stratégie pour les services aux entreprises faisant l’objet de contrats d’engagement sur plusieurs années. Le demandeur est en général moins préoccupé mais se contente de veille, d’attente et d’anticipations lorsqu’il y a aura à prendre des décisions lourdes et non répétitives.                   

                                              Photographie des temps de convergence et d’impact 

A un instant T, une économie comprend une agrégation des temps de convergence et des temps d’impact. On peut alors faire une typologie et donner des exemples des cas de figure :

–        Temps de convergence court + temps d’impact court :

C’est   le cas d’une économie rurale simple, du marché de la bourse, 

–        Temps de convergence court + temps d’impact long :

C’est le cas des économies dont les processus de décision sont rapides et qui ne connaissent pas de fortes modifications technologiques. C’est, par exemple, le cas du marché de l’automobile d’occasion dans les pays en voie de développement.

–        Temps de convergence long + temps d’impact court :

C’est le cas des marchés de hautes technologies dont les produits se démodent rapidement

–        Temps de convergence long + temps d’impact long :

C’est le cas des économies qui s’engagent dans de grands projets (tunnels, marché ferroviaire.) 

Sur la base du temps de convergence et d’impact, on pourrait également comparer des économies de même niveau de développement et dont les conjonctures évoluent à des rythmes différents : régulières, saccadées, en avance/en retard de phases. En France par exemple, les retards de la demande des produits informatiques   se sont ensuite traduit pas des vagues de rattrapages. Plus globalement, les décisions d’investissement font régulièrement l’objet d’hésitations de la part des entrepreneurs.

Bernard  Biedermann

Conjoncture et Décisions

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Janvier 2007

                

                                                                                       

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