Volatilité de l’investissement

 

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                                                                  Volatilité de l’investissement

                                                       Chapitre du livre « Les patrons sont-ils des mous ? »
                                                                     Question posée à J.M. Keynes
Bernard Biedermann
( Le Publieur 2003)

La question est de savoir si les variations du niveau de l’investissement qui sont fortes par rapport aux autres variables macroéconomiques de la demande (biens de consommation, budget exportations), peuvent être expliquées par les variations des variables censées influencer le niveau de l’investissement. Les variations de la consommation globale, d’une année sur l’autre, sont de l’ordre de 1 %, alors que celles de l’investissement varient dans une fourchette de – 5 à + 5 %, ce qui est considérable dans la mesure où la valeur globale de l’investissement représente environ 20 % du PIB  français. La stabilité de la consommation est due en grande partie à la rigidité des salaires. Le flux d’investissement ayant pour but de mettre à niveau les ressources en capital machines destinées à la production de biens de consommation, on ne voit donc pas, a priori, pourquoi il y a une telle volatilité, et ce même si l’on considère qu’il y a des vagues passées qui font que la répartition des investissements dans le temps est irrégulière. Il y a en effet nombre de conditions qui devraient faire en sorte que les investissements soient mieux répartis dans le temps (usure différenciée du capital, planning de décisions, taille d’entreprises). La question est en fait paradoxale, car les variables censées agir sur la volatilité sont toutes des variables anticipées agissant sur le coût des investissements, sur la structure des placements financiers, sur la demande des ménages en matière de consommation de biens durables et immobiliers, sur le niveau des prix à l’exportation. De plus ces mécanismes agissent avec des retards de durées différentes et autres effets de feed-back qui rendent la mesure de l’efficacité des variations des taux d’intérêt particulièrement difficile à effectuer, mais qui est sans doute sous-estimées. De surcroît, les baisses de taux sont provoquées en des périodes où justement les gouvernements constatent ou s’attendent à des ralentissements importants de la consommation et de l’investissement, à tel point qu’une chute de l’investissement peut succéder à une baisse des taux, ce qui ne veut pas dire que la politique était inefficace, mais que la situation aurait été pire si l’on n’avait rien fait – sauf à penser que la baisse des taux est interprétée globalement par les investisseurs comme le signe de l’anticipation d’une dégradation certaine. Quoi qu’il en soit, en dehors de ces périodes d’intervention monétaire, les variations des taux, du point de vue de leurs influences sur le niveau des investissements, sont en général assez faibles et il y a en réalité de longues périodes pendant lesquelles les taux d’intérêt sont maintenus au même niveau.. La composante coût du tri comportant les coûts salariaux et le coût de l’investissement (amortissements, frais de maintenance, frais financiers) sont a priori stables et peu volatiles sauf peut-être dans le cas où le prix anticipé du produit relatif à l’investissement n’arriverait pas à suivre une inflation anticipée puis répercutée sur les coûts salariaux. C’est donc bien du côté des quantités et des prix anticipés, le numérateur du tri, qu’il faudrait rechercher les causes de l’importante du niveau et des variations de l’investissement. Pour être plus précis il faut ici à nouveau distinguer l’investissement de renouvellement de celui de l’innovation. Dans le premier cas, ce sont les résultats récents qui la plupart du temps influencent les anticipations de quantités et de prix. C’est ce qui se passe dans les périodes dites de «retournement de conjoncture» ou crises inattendues provoquées par des événements extérieurs (crise sociale, guerres, catastrophes), ou lorsque sur un marché particulier on atteint la saturation du marché plus vite que prévu. Au niveau du calcul du tri, les deux variables prix et quantités sont corrélées entre elles (une chute de la demande anticipée s’accompagne d’une baisse des prix) et, faisant l’objet d’une multiplication, déterminent des variations fortes du tri relatives aux projets d’investissement de renouvellement. Pour ce qui concerne les projets d’innovation, du fait de l’absence de recul, il n’y a que les changements de perspective qui peuvent modifier le tri, et l’on peut alors penser que les variations de ce type sont relativement moins importantes. Pour illustrer cette hypothèse, rappelons que depuis son expansion, dès les années 1970, le marché de l’informatique a régulièrement évolué sans corrélation avec le reste de l’investissement ; il y avait des besoins immenses dans toutes les branches en matière de gain de productivité. On pourra aussi penser au marché des télécoms. Concernant la conjoncture des biens d’innovation on a eu un peu trop tendance à parler de choc ou de révolution, alors que l’informatisation des entreprises depuis trente ans s’est plutôt passée naturellement, à un rythme qui n’a pas vraiment causé de rupture du niveau de la productivité ; les choses ont évolué de manière régulière et déterminée. Sur le long terme on pourrait généraliser le cas des technologies de l’information au progrès technique qui se propage et se diffuse dans l’économie de manière plus souple et plus régulière qu’on ne le pense habituellement ; peut-on pour autant en déduire que le niveau des investissements liés au progrès technique est moins volatil ? Quoi qu’il en soit, sur le court terme, la volatilité du volume total des investissements reste importante. Si d’une manière générale les économistes privilégient les facteurs monétaires pour expliquer la volatilité des phénomènes réels, il ne faut pas perdre de vue que les anticipations relatives aux prix et aux quantités sont elles aussi susceptibles de fluctuer avec des écarts de même grandeur que les variables strictement monétaires. Les fluctuations anticipées des prix et des quantités induisent une instabilité du niveau de l’investissement.
À cela, ajoutons le fait que la rigidité des prix par la lenteur d’adaptation génèrent également des fluctuations de rattrapage au niveau de la production courante, ce qui ne facilite pas les calculs de prévision des projets d’investissement. Si les entrepreneurs acceptaient des niveaux de profits variables grâce à des prix flexi-bles, le niveau de la production courante serait moins instable et par conséquent mieux prédictible.
Malheureusement le comportement d’objectif de taux de marge va à l’encontre de cet idéal.

Pour quelle raison ?  Faisons d’abord l’hypothèse que l’évolution dans le temps du tri n’est pas une droite mais une courbe ondulant de manière irrégulière avec des maxima et des minima pour les raisons que nous venons d’évoquer ci-dessus, et plus particulièrement sur le court terme par l’effet des anticipations. Il est clair que par effet de filtrage la courbe d’évolution de l’investissement réel résultera d’un effet d’amplification par l’objectif de taux de marge sur la courbe d’évolution du tri.
Si comme nous l’avions suggéré précédemment il y a une conscience qui stocke en mémoire les marchés délaissés à cause d’un objectif de taux de marge élevé, il y aura une force de rappel qui va inciter les entrepreneurs à surinvestir au moment où l’incertitude disparaissant, l’objectif de taux de marge sera redevenu bas.
Notre opinion est que cette explication doit pouvoir contribuer à éclairer les phénomènes de cycles que des économistes avaient comparés à un cheval à bascule dont la durée et l’amplitude des oscillations sont fonction du coup initial. Selon notre conception, plus la période initiale d’incertitude sera longue, et donc l’objectif de taux de marge élevé, plus la période d’euphorie sera durable, donc l’objectif de taux de marge faible et le surinvestissement probable.

                                                                         Volatilité des marchés financiers

Les conditions dans lesquelles les entreprises ont dû financer leurs investissements depuis les années 80 ont été modifiées par les évolutions des marchés financiers, et notamment par la plus forte volatilité des valeurs. Par effet de richesse et de bilan, la forte montée de la bourse a sûrement participé à l’entretien de la croissance mais la chute des valeurs agit malheureusement en sens contraire. Concernant le financement des investissements dans l’économie réelle on peut penser que la volatilité des valeurs participe à la volatilité de celle de l’investissement.
Les observateurs qui expliquent la volatilité des marchés invoquent les causes suivantes :
le fait que les marchés se soient progressivement décorrelé de l’économie réelle au profit d’arbitrage et de spéculation ;
• le poids et la structure oligopolistique des fonds de pension et investisseurs institutionnels ;
• le comportement de mimétisme en période d’incertitude qui facilite les anticipations autoréalisatrices ;
• le type de gestion des nouveaux produits financiers indiciels,
• le recentrage stratégique de certaines entreprises ;
• la qualité et la véracité de l’information diffusée ;
• la perception de l’information sur des périodes trop courtes ;
• l’utilisation de modèles mathématiques fondés sur des variables de taux de rendement requis.
Cette dernière cause relative aux taux de rendement requis des dividendes futurs procède de la même démarche que dans le cas de l’objectif de taux de marge (on pense ici aux formules de Gordon et Shapiro). La volatilité de l’investissement de l’économie réelle est probablement influencée par celle des marchés financiers surtout dans les situations extrêmes. Il ne faudrait cependant pas y voir une cause fondamentale car une des spécificités des marchés financiers consiste justement à sécréter l’imprévisible et la surprise, et ce depuis que les marchés existent, nous serions tous milliardaires sinon. La surprise est au marché financier ce que l’acte manqué ou le lapsus sont à l’inconscient, c’est-à-dire une chose imprévue, signifiante, aléatoire et pour laquelle on ne pourra trouver une nouvelle explication qu’a posteriori. Ne pourrait-on pas dire alors que tout se passe comme si un Lucifer pernicieux paralysait inopinément ce pauvre deus ex machina ?
Mais la question fondamentale à se poser est de savoir pourquoi les marchés financiers se sont peu à peu dé-correlés de l’économie réelle, c’est peut-être un coup de Lucifer !

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