Objectif de taux de marge et rigidité des prix

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                                          Objectif de Taux de Marge et rigidité des prix
                                                                    Chapitre du livre « Les patrons sont-ils des mous ? »
                                                                                  Question posée à J.M. Keynes
Bernard Biedermann
(Le Publieur 2003)

Un objectif de taux de marge élevé filtre mathématiquement les projets en ne retenant que les investissements à forte rentabilité ; il a également une influence sur la nature de l’investissement. On peut effectivement s’attendre à ce que les projets concernant des produits relatifs à des produits en situation de monopôle soient retenus avant les autres. Ce qui permettra une détermination du prix caractérisée par une plus grande rigidité. Les entreprises préféreront alors tout au long de la vie du produit, du moins, tant que perdure la position de monopole, réaliser l’équilibre entre l’offre et la demande en jouant sur les quantités produites plutôt que par des modifications de prix qui créant des précédents irréversibles à la baisse. Autrement dit, il y a une échelle à deux extrêmes, celle de l’ajustement de la demande aux niveaux de l’offre et des prix (c’est l’approche keynésienne) et celle où les modifications de prix ajustent offres et demandes (c’est la théorie de Marshall). Nous pencherons donc plutôt pour la rigidité des prix qui, tout au long de la vie de l’investissement est suggéré par la nécessité «d’atteindre les objectifs de marges » fixés pendant le processus de décision. Cette rigidité ne pourra être remise en cause que dans des situations du type de ce qui a été évoqué plus haut, baisse des charges salariales ou gain de productivité avec maintien du taux de profit.Par ailleurs, des études empiriques ont permis de valider l’hypothèse de rigidité des prix ; « Un travail … de Bhaskar et al ( 1993), utilisant des données sur le Royaume-Uni datant des années 1980, confirme qu’en général la plupart des entreprises n’augmentent pas leurs prix pendant les périodes d’expansion, ne les réduisent pas au cours des récessions, mais préfèrent réagir dans leur écrasante majorité par l’ajustement quantitatif des heures de travail, le déplacement du travail, les stocks ou le rationnement des consommateurs »( Snowdown, Vane et Wynarczyk dans « La pensée économique moderne », Ediscience)
L’objectif de taux de marge agit sur les niveaux de capacité de production ; on peut naturellement qualifier cette
situation de rationnement dans la mesure où les capacités de production ne permettront pas de satisfaire la totalité de la demande, mais on ne peut pour autant parler d’un rationnement provoqué par les déséquilibres résultant de la rigidité des prix dans un contexte d’imperfection de l’information. Nous faisons ici à nouveau référence aux théories du déséquilibre dans lesquelles en contexte d’imperfection de l’information, le commissaire-priseur ne joue pas son rôle d’adaptateur de l’ offre à la demande, ce qui se traduit par des prix rigides. La cause de la rigidité des prix doit aussi être recherchée en amont, c’est à dire au moment de la décision de l’investissement. L’objectif de taux de marge étant essentiellement induit par le niveau d’incertitude c’est à dire par quelque chose qui n’a rien à voir les fonctions du commissaire-priseur ; en outre l’incertitude est par définition quelque chose que l’on ne peut réduire alors que l’imperfection de l’information peut (théoriquement) l’être.
Revenons un instant sur les causes de la rigidité des prix. On l’explique habituellement par l’action d’une ou plusieurs de ces variables :

– l’imperfection de l’information sur les prix,
– Le coût des recherches (mise en contact, publicité, ),
– les relations contractuelles entre clients et fournisseurs qui préconisent la stabilité des prix de transactions
– le coût des étiquettes (coût de marketing, coût de rééditions des catalogues …)
– les effets psychologiques provoqués par des variations de prix ( une baisse de prix peut être interprétée par le
client comme signifiant une baisse de la qualité du produit, une hausse du prix incitant le client à aller voir ailleurs )
– L’hésitation des entrepreneurs face à un choc sur leur marché ( la situation va-t-elle perdurer ?)
– Les coûts financiers plus élevés en période de récession car les entreprises doivent faire appel à des financements externe plus coûteux.

Dans un contexte d’imperfection de l’information, l’entrepreneur peut, lorsqu’une certaine position de monopole le lui permet ajouter une marge supplémentaire sur son produit et faire l’impasse d’une collecte d’information plus rigoureuse et consommatrice de temps. L’entrepreneur a donc une certaine marge de manœuvre lui permettant de choisir un prix, ce qui n’est théoriquement pas le cas sur un marché où règne une information parfaite.
Parallèlement le coût des recherches confèrent au produit un statut de monopole car les consommateurs doivent passer du temps et dépenser une certaine somme pour trouver de meilleures offres. D’une certaine manière on peut dire que les closes contractuelles sont aussi de nature à renforcer le degré de monopole. L’hésitation liée à l’incertitude et les coûts d’étiquettes et financiers serait plutôt de nature à renforcer la rigidité qu’à la créer.
Mais on oublie de rappeler ce qu’est réellement un produit. Ce n’est pas uniquement une somme de caractéristiques objectivement comparables. C’est aussi un délai, un service après vente, une image, une complémentarité, un niveau de qualité, un réseau de distribution, un packaging et plein d’autres choses sur lesquelles les entrepreneurs vont jouer pour différentier et positionner leur produit le plus longtemps possible en situation de. On a trop tendance à mesurer le degré de concurrence par le nombre d’offreurs et d’oublier la perception du produit par le consommateur et ses relations avec le besoin.
La question que nous posons appartient au domaine particulièrement vaste et complexe, de la théorie des ajustements et de l’équilibre général. Dans la mesure où nous admettons l’hypothèse d’un objectif de marge, nous devons aussi analyser ses effets sur le comportement sur la période qui débute quand l’équipement est réellement opérationnel, Pour illustrer le propos et se positionner par rapport aux modèles de référence, rappelons brièvement les propositions théoriques :
Pour les classiques comme Walras, l’ajustement entre l’offre et la demande s’effectue exclusivement grâce aux prix, par tâtonnement dans le cadre d’une économie de marché qui respecte, les hypothèses de concurrence, de perfection de l’ information, de maximisation de profit… A l’autre extrême, les théoriciens du déséquilibre (Clower, Leijonhuvud ) privilégient la réalisation des égalités par les quantités. Dans la synthèse keynésienne, (bien avant et pour d’autres raisons que Clower et Leijonhuvud ) l’équilibre se réalise à la fois par les quantités et les prix.
Nous voudrions ici soumettre l’idée selon laquelle le comportement d’objectif de taux de marge est partie prenante dans l’explication des déséquilibres sur les marchés de biens sur le court terme et que la prise de conscience de la rigidité des prix est un moyen qui rend possible l’objectif de taux de marge . De surcroît, tout le long de la vie des produits relatif à l’investissement ayant fait l’objet d’un objectif de taux de marge, la politique commerciale accentue cette rigidité
                                                                                   Illustration

L’entreprise K.O. qui produit et vend, en leader, une gamme d’une centaine de références produits et logiciels destinés à la confection de réseaux locaux reliant entre eux des ordinateurs de toutes tailles également produits par K.O. Parmi ces produits certains sont en position de monopole, d’autres, occupant une position stratégique dans la gamme sont fortement concurrencés et le reste en concurrence faible. L’ensemble de la gamme fait partie d’un plan d’investissement stratégique qui avait fait au moment du projet l’objet d’un objectif de taux de marge global, taux de marge lui-même en cohérence avec les objectifs généraux de K.O.
Les prévisions de productions sont révisées tous les mois sur la base des statistiques de commandes des trois mois précédents. Une attention particulière est donnée aux produits stratégiques sous fortes concurrences ; Leurs prévisions de productions sont élaborées à partir des résultats récents et de toutes les informations en provenance du terrain et retransmises par les forces de vente (quels concurrents, à quels prix, quelles quantités, conditions… ).
Les prix pour la première année ont été déterminés dans le cadre du projet d’investissement puis, tous les ans font l’objet d’une révision. Celle-ci s’effectue dans un processus qui intègre, résultats, taux de remises constatés, écarts par rapport aux prévisions et surtout taux de marge par produit particulièrement suivi par la direction financière ; le maintient de ce taux pouvant alors conduire à une politique marketing pour soutenir les ventes du produit en question à son prix objectif ( promotion, consignes volontaristes à l’égard des forces commerciales, recherches de nouveaux canaux de distributions moins coûteux, etc., etc. ). Cet exemple réel ressemble bien sûr à beaucoup d’autres et n’apprendra rien aux responsables de marketing ; il nous montre néanmoins que la rigidité des prix et une certaine forme de rationnement, à un moment donné, résulte de décisions prises plusieurs mois voir plusieurs années auparavant. Il nous montre aussi que la rigidité des prix ne peut être expliquée uniquement par une information imparfaite car en l’occurrence, l’information de court terme
sur le marché était relativement bonne.

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