Objectif de taux de marge, Investissement et chômage Explication de la faiblesse de l’élasticité de l’investissement par rapport au taux d’intérêt

 

                           Objectif de taux de marge, Investissement et chômage

 

  Explication de la faiblesse de l’élasticité   de  l’investissement par rapport au taux d’intérêt

 

La majorité des économistes s’accorde à reconnaître que le chômage de longue durée est à considérer comme un déséquilibre fondamental de nos économies. En revanche ses causes et les moyens d’y remédier ne font toujours pas l’unanimité. Très schématiquement, car on laissera de côté les aspects budgétaires et extérieurs, on peut distinguer trois écoles :
L’école libérale qui se focalise essentiellement sur le marché du travail, par son analyse et par les recommandations qui en découlent. Une flexibilité accrue est favorable à l’emploi, par le fait que l’entrepreneur hésite moins à recruter lorsqu’il sait qu’il pourra licencier ultérieurement sans difficulté. La recommandation de flexibilité s’applique également au niveau des salaires. La notion même de salaire minimum garanti dans le temps étant à rejeter car l’entreprise ne recrute que si la productivité marginale de l’employé demeure supérieure au coût du travail. Une baisse des salaires est donc envisageable et le chemin de retour vers le plein emploi s’accompagne alors d’une hausse générale des salaires grâce aux nombreux processus d’essais et d’erreurs propres aux fonctionnements des marchés, lorsqu’on leur laisse la liberté de fonctionner.
L’école des chocs réels met l’accent sur les chocs de toutes sortes que subit le système économique, pétroliers, technologiques, guerres, catastrophes, monétaires,… Ils agissent sur l’offre et/ou sur la demande et l’on ne peut pas faire grand chose pour éviter leurs effets.
Pour l’école keynésienne, le niveau de l’emploi et donc celui du chômage résulte des décisions de production faite par les entrepreneurs sur la base de leurs anticipations relatives à la demande des biens de consommation et d’investissement. Or les variations de la consommation globale dépendent en grande partie de celles des salaires courants, de celles des salaires anticipés et dans une moindre mesure de celles des prix. Les recommandations consistent alors à agir sur les anticipations de demande par des augmentations de salaire à la condition que celles-ci ne se transforment pas en épargne. Une autre composante de la politique keynésienne est l’utilisation des taux d’intérêt dont les niveaux anormalement élevés depuis plus de 10 ans endossent la responsabilité de ce que l’on appelle la croissance molle. Dans un contexte de rareté des capitaux, pour de nombreuses économies, la mondialisation des marchés financiers s’est caractérisée par des taux d’intérêt long élevés. Les entreprises européennes ont du alors pratiquer l’autofinancement et pour cela faire des économies sur les budgets de personnel et d’investissement qu’elles ne veulent plus financer par des crédits chers qui les lient trop fortement à leurs créanciers.
Dans « Les patrons sont-ils des mous ? Question posée à J.-M. Keynes » nous suggérons une analyse alternative qui repose sur le comportement d’Objectif de Taux de Marge que s’imposent les entrepreneurs en amont de la décision d’investir.
Ce comportement prend naissance en deux circonstances, lorsque la situation financière de l’entreprise s’est fortement dégradée et/ou lorsque l’incertitude enrobe les business plans des investissements de production. La plupart du temps, la situation financière des entreprises se dégrade à cause d’une chute de la demande corrélée à une baisse des prix sous forme de remises ; Très rapidement les marges s’effondrent et c’est à partir de ce moment que le moindre coût devient insupportable, y compris celui des coûts de la dette à propos desquels l’entrepreneur dira  » qu’il suffit que » les banques décident de baisser les taux pour que la situation s’améliore alors que sur les autres coûts l’entrepreneur n’a qu’une marge de manœuvre limitée.
Il serait trop long de développer ici la manière avec laquelle l’incertitude pénètre et se concrétise dans le système économique. Nous avons fait une analogie avec le joueur de tennis : « Imaginons un joueur de tennis. Si soudain un brouillard épais s’abat sur le court de tennis, le joueur devra d’abord renforcer l’effort visuel d’anticipation du mouvement de la balle puis, sa position d’arrêt avant la frappe, enfin il visera un peu plus haut qu’à l’habitude pour être sûr que la balle passe bien au-dessus du filet avec le risque que la balle retombe hors du terrain ».
Mais remontons au niveau macroéconomique. En filtrant les projets d’investissement par le processus d’objectif de taux de marge , l’offre globale se trouve réduite bien que les quantités anticipés dans les business plan auraient permis un niveau d’investissement supérieur. Les décisions d’investissements limités ne génèrent pas de recrutement et les commandes vers les industries d’équipement elles aussi sont inférieures à ce qu’elles auraient pu être. On est donc dans une situation ou les entreprises limitent volontairement leur offre tout en ayant conscience qu’elles n’adresseront pas une part de leurs marchés, part de marché délaissée qui restera néanmoins en mémoire jusqu’ aux prochaines décisions d’investir. Mois après mois, le processus d’objectif de taux de marge porte ses fruits et les entreprises reconstituent leurs marges. Dans ces nouvelles conditions favorables, le pourcentage des coûts financiers rapportés aux chiffres d’affaires a diminué, de même que dans les business plans des projets soumis à un objectif de taux de marge élevé, les coûts financiers sont relativement plus faibles que lorsque la marge escomptée est faible. Ceci implique que l’influence des taux longs élevés sur le niveau des investissements est moins importante qu’on ne le pense habituellement.

Ce sont ces faits et ces comportements qui permettent d’expliquer la faiblesse de l’élasticité de l’investissement par rapport au taux d’intérêt et de douter de la reprise de l’investissement productif grâce à la baisse des taux. La situation que nous décrivons n’est pas celle du cas de figure où la courbe IS est quasiment verticale  ( modèle IS-LM ) car ce cas correspond à la situation proche du plein emploi. De plus, le modèle IS-LM est censé décrire une période dont l’unité de grandeur est la semaine.
Si l’on admet la véracité de la responsabilité de l’objectif de taux de marge à l’égard du chômage, on peut alors se poser deux questions :
Peut-on alors parler de déséquilibres dus à l’imperfection de l’information ? En partie seulement, car dans le cas d’objectif de taux de marge il y a intention volontariste et les effets des décisions prises ne seront pas forcément corrigés par les forces ré-équilibrantes du marché.
Peut-on parler d’absence de coordination entre les agents économiques ? Difficilement car les quantités et les prix anticipés dans le cadre des projets d’investissements, concrètement les business plans, ne feront l’objet d’une confrontation sur le marché que lorsque l’investissement en question devient opérationnel c’est à dire plusieurs mois après la décision d’investir. De plus, les projets d’investissements sont habituellement protégés par le secret des affaires ( caractéristique du produit, prix, date de lancement). L’utilisation de l’expression « défaut de coordination » lorsque les choses sont secrètes, virtuelles et de longues durées ne peut alors se justifier.
Mais les tenants et aboutissants des Objectifs de Taux de Marge sont bien sûr à mettre en relation avec les mécanismes de rigidité des prix et le degré de précision des prévisions lié à l’état de confiance des dirigeants. L’objectif de taux de marge a lui aussi sa « conjoncture » oscillante avec, à l’extrême, un objectif de taux de marge faible qui laisse passer un nombre exagéré de projets et ce, jusqu’au moment où l’on se rend compte qu’il y a surinvestissement.
Bernard Biedermann
Conjoncture et décisions
Janvier 2004
https://www.theoreco.com

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