L’imperfection de l’information est elle encore une hypothèse d’actualité?

 

Le contenu de cet article a été intégré dans l’essai « Le numérique, c’est l’économique » accessible par l’article : Le numérique, c’est l’économique, en tête du blog :    

https://www.theoreco.com/macroeconomie-mondialisation/le-numerique-cest-leconomique-683.html 

Dans les décennies 60 et 70 l’analyse du phénomène de  l’inflation (à deux chiffres, à l’époque !) intégrait l’impact des hausses de prix sur le comportement de l’entrepreneur. Celui-ci éprouvait des difficultés majeures à évaluer la part d’augmentation des prix de ses produits due à l’inflation, de la part due à  l’évolution de  la demande  vers ces mêmes produits. On qualifia cette difficulté de « problème d’extraction de signal » qui devait  se traduire par  des erreurs d’ajustements au niveau de la production et donc de l’emploi. En développant  l’analyse on aboutît alors  à décrire un phénomène de déséquilibres généralisés sur tous les marchés, induisant la coexistence du  chômage et de inflation, c’était la stagflation. Sur le long terme on craignait une évolution de type entropique, irréversible désordonnée et auto-entretenu,  car rien ne permettait d’espérer un rééquilibrage naturel. Les ralentissements des économies qui ont  suivi les chocs pétroliers et surtout,  les politiques anti-inflationnistes, ont permis de réduire l’inflation à un taux  minimum  jugé normal avec cependant une croissance  qui ne s’est pas accompagné d’un niveau d’emploi correspondant théoriquement  au faible  taux d’inflation. C’est dans ce contexte que l’hypothèse d’imperfection de l’information  a pris toute son importance dans plusieurs modèles théoriques ; ceci s’est  traduit   par  des  constantes de rigidité appliquées aux  prix.

Dans cet article nous proposons l’idée selon laquelle l’hypothèse d’imperfection de l’information sur le court terme  n’est plus d’actualité mais que les décisions d’investissements    sont toujours  entachées     d’incertitude. De plus,  relativement, la bonne qualité de l’information du court terme induit une exigence   accrue d’information  dans le process  de décision  d’investissement.

                                                                              De nos jours,                      

Les entreprises   contemporaines sont dotées de services de marketing  avec pour principales fonctions,  le suivi de l’évolution  du marché, le  développement de produits et la mise en place de la stratégie. Ces  activités sont pleinement dépendantes  de l’information  en provenance de leurs  clients et prospects, et particulièrement  les services de marketing opérationnel  dont  l’un des objectifs est de traiter l’information en « temps réel ». Un service de marketing opérationnel digne de ce nom  se doit en effet d’adapter  la stratégie produit  et la politique de court terme  avec une grande réactivité.

Les tableaux de bord   produits régulièrement par les responsables du marketing opérationnel fournissent des informations quantitatives et qualitatives  sur :

– le nombre de propositions, par clients, par prospects,

 – les affaires conclues, perdues, abandonnées,…

 – le chiffre d’affaires par client, par produit, par pays, par régions,

 – les prix,  remises, rabais, ristournes, par zones, par clients,….

 – les quantités vendues, par zones, clients, …,

 – l’évolution relative des chiffre d’affaires par produits,….. 

 – les taux de  marge par produit, par affaire, par zone,…

 – les prix, marchés, quantités de la concurrence

 – l’évolution du marché

 – les résultats financiers,

 – Etc. …

Ces informations  sont fiables par le fait   qu’elles émanent en grande partie des services commerciaux  quotidiennement « sur le terrain ». Elles sont rapidement exploitables grâce aux outils  informatiques et  télécommunications et permettent d’élaborer des prévisions pour ajuster les stratégies  de prix, d’offre, de  canal de vente, de communication, de  publicité et de logistique en flux tendu.

Il ne s’agit pas   de  décrire dans sa globalité   la vie d’un service de marketing   car bien d’autres faits contribuent à   l’amélioration  de la connaissance des marchés comme par exemple, les objectifs de reporting des commerciaux ou, le développement de la presse spécialisée. La collecte d’informations  relatives aux  produits achetés   est  souvent  réalisée par des détournements de fonction ; le paiement par carte bancaire  dans le secteur de la distribution  s’avère être une source particulièrement riche  des  goûts des consommateurs.

Du coté de la demande le niveau de la qualité de l’information est lui aussi en  constante amélioration  grâce à la presse spécialisée, aux diffusions publicitaires et aux données accessibles par Internet  (comparateurs de prix, calculateurs financiers, catalogues en ligne, associations de consommateurs, sites officiels, petites annonces, …). 

Doit-on alors abandonner l’hypothèse d’imperfection de l’information  et de ses effets  sur les prix ? 

Si l’on généralise ce que nous venons  de décrire,  on se doit  alors d’abandonner l’hypothèse d’imperfection de l’information    avec  toutefois une   nuance, car la réalité de la notion d’imperfection de l’information  n’est  pas binaire.

Il  convient d’abord de définir plus précisément le périmètre de la notion de  perfection de l’information. Il y a d’abord une limite temporelle ; nous proposons    de    limiter l’hypothèse au court terme,  tel que l’entreprise  le définit elle-même. Selon l’activité  ou  le type de produit la notion de terme n’est pas la même et la distinction court terme /long terme  sur la base de la constance ou non du capital n’est pas forcément  pertinente. L’hypothèse s’applique ensuite au périmètre regroupant les sous-ensembles du marché : clients et prospects. Concernant le périmètre relatif  à l’environnement économique global nous sommes plus nuancé, en raison du retard des publications des résultats économiques globaux, et surtout parce que la corrélation entre  le marché en question et l’analyse globale n’est pas évidente et fluctue dans le temps. La collecte d’informations  relatives aux comportements de la  concurrence   est fonction  de l’agressivité de la recherche d’information et de la  protection de l’entreprise « espionnée » et donc moins fiable.

A l’exception de cette dernière nuance c’est donc dans un tel périmètre  de connaissance de l’information que l’entreprise    d’aujourd’hui se sent à l’aise au quotidien pour  ses  prises de décisions stratégiques.

Ceci implique que les phénomènes, de rigidité de  prix à la baisse causée par l’incertitude,  de mimétisme, de surprises, d’erreurs d’ajustement par les prix et /ou par les quantités,  ne sont plus vraiment  d’actualité.

Il y a cependant deux domaines pour lesquels l’imperfection de l’information  doit être maintenue : le marché des produits  à l’innovation faisant l’objet d’un  nouvel investissement de production et des projets de  marché  à l’international.

Périmètres pour lesquels le  maintien de l’hypothèse  d’imperfection de  l’information s’impose encore

Le lancement d’un nouveau produit innovant ou la  conquête d’un nouveau marché nécessitant d’investir dans du capital productif  se traduit par une activité managérial qui n’a rien  à voir avec le contexte du business au quotidien décrit précédemment.

On est maintenant dans un autre monde : celui du futur, des anticipations, des hypothèses, des scénarios, et de l’incertitude. On n’est plus dans le tangible, on est dans l’imaginaire. Les informations sur lesquelles se fondent la réflexion sont partielles, insuffisantes, plus ou moins sûres, entachées de marge d’erreurs, contradictoires et donc discutables. La constitution d’un business plan s’avère être l’exercice délicat  avec la part de risque dont l’évaluation est liée à la psychologie et à l’intuition du décideur. Dans ce contexte, l’incertitude induit des comportements  décrits par  la théorie des choix d’investissement comme par exemple  le mimétisme. Dans  les directions concernées ce type de décisions fait  l’objet de process  responsabilisants.

L’idée que nous suggérons   consiste à mettre en relation le business au quotidien et celui de l’investissement dans un nouveau produit et /ou marché. Le contexte de la décision d’investir s’entache d’incertitude d’autant plus  que le business au quotidien s’appuie sur une base d’information satisfaisante  pour l’analyse et la stratégie  de court terme. C’est un paradoxe compréhensible dans la mesure où les décideurs ont besoin de repères. Face au besoin d’information le fossé entre les hypothèses du busines plan  et la qualité des résultats  chiffrés au quotidien  accroissent  de manière relative le sentiment d’incertitude et d’insatisfaction .

                                                                                 A l’international

Le développement de nouveaux marchés à l’international même sans investissement notable  relève  de  procédures comparables. Dans la phase de  prévisions formulées  sur les taux de changes futurs et les anticipations d’ajustement de prix qui  devront en découler s’additionnent   des difficultés d’ordre culturel, organisationnel et juridique. L’impact de l’incertitude est d’autant plus prononcé que la nécessité d’une taille minimum s’impose  sur les marchés internationaux.

Mais, dans la phase opérationnelle, les choses ne se passent pas nécessairement comme cela avait été prévu ; l’entreprise adopte souvent un comportement de pass-through qui consiste pour  la « firme exportatrice à ajuster sa stratégie de prix de façon à lisser l’impact  des mouvements de change sur les prix à l’importation. Dans un cadre d’incertitude sur le niveau futur du taux de change et de concurrence imparfaite, on montre que les firmes exportatrices peuvent effectivement avoir intérêt à adopter une stratégie de pass-through incomplet sous certaines hypothèses relatives à la fonction de demande ou à la technologie de production qu’elles utilisent. Laisser les prix étrangers s’ajuster aux mouvements de  change introduit en effet un risque de demande pour la firme, qui ne peut pas prévoir la quantité qu’elle devra produire lorsque les prix en monnaie locale sont sensibles aux chocs de change. » (SEGMENTATION DES MARCHES INTERNATIONAUX ET GLOBALISATION EN MACROECONOMIE OUVERTE, Isabelle Méjean, Paris I – Panthéon Sorbonne). Implicitement, on peut en en déduire que l’entreprise connaît bien sa courbe de demande et,  «  lorsque le risque de demande est élevé, l’exportateur peut donc avoir intérêt à absorber les mouvements de change de façon à maintenir les prix en monnaie Locale. Le pass-through sera alors incomplet et le risque de change reporté sur le taux de marge de la firme  » (Isabelle Méjean).

A partir de ces faits stylisés on est   amené à  reconsidérer l’hypothèse d’imperfection de l’information en faisant clairement la distinction entre les produits et services innovants   dont les quantités et les prix  font  parti intégrante   d’un  business plan et les produits  en cours, sur le  marché. Les hypothèses relatives aux premiers sont conçues en pleine incertitude principalement  en raison de l’imperfection de l’information ; ceci se traduit par une « intention » de rigidité des prix   qui s’appuie  sur  un objectif de taux de marge  imposé au moment du  lancement de  produit (voir   l’article : De la relation investissement-prix en économie d’innovation). Dans  un tel  contexte les décideurs font preuve d’hésitations ce qui ralentit l’offre globale. Ainsi la théorie des échecs de coordination s’appliquerait plutôt aux produits d’innovation dont les quantités offertes et  les prix ne correspondant pas à ceux de  l’équilibre.

La réalité des marchés contemporains est celle  d’un niveau de   concurrence qui ne permet plus de fonder les  modèles avec un mode de fixation des prix en monopole comme dans les modèles néo-keynésiens ; Cependant , le degré de  concurrence    doit être considéré  au niveau des produits  et non pas  à celui de l’entreprise. Il  est lié à la phase de vie des produits : faible au moment du lancement, forte en fin de vie. Les entreprises ont une relativement bonne connaissance des conditions de la concurrence vers leurs produits ; et leurs tâches consistent en une adaptation permanente en  jouant  avec  le curseur des prix. On  peut  donc affirmer  qu’elles sont plutôt  preneuses de prix  avec néanmoins une « intention »  continue de maitriser les fluctuations de  prix notamment en début de vie des produits, c’est-à-dire tant que  c’est possible.

On doit également considérer que  les ajustements des marchés ne sont pas aussi longs que ce que suggèrent les modèles keynésiens et néoclassiques. Ainsi les chocs sur la demande et sur l’offre  sont donc  moins importants que ce que concluent ces modèles.

Par ailleurs les techniques de management efficaces permettent de réduire les tâches de mise à jour des catalogues quelle qu’en soit la fréquence. Habituellement  ces coûts de mise à jour des catalogues  font parti des  frais généraux  proportionnels en pourcentage  au chiffre d’affaire ce qui n’incite pas à réduire le nombre de mise à jour des catalogues. La théorie de la rigidité des prix liée aux mises à jour des catalogues ne nous semble donc plus très utile.

Bernard Biedermann

Conjoncture et Décisions   

https://theoreco.com

octobre 2010

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