L’état d’une économie

                                                                             L’état d’une économie

 

Régulièrement, les organismes économiques diffusent des bilans de l’économie par pays. Il s’agit de décrire en un document  synthétique, l’état d’une économie en essayant d’en dégager les points positifs et les dysfonctionnements. Cet article propose quelques réflexions susceptibles de donner au lecteur une vision un peu plus critique.

                                                                                  Périmètre géographique
La remise en cause des frontières d’état comme périmètre d’entités économiques n’est pas chose courante. D’abord parce que les premiers utilisateurs de statistiques sont les ministères des finances, ensuite parce que même en Europe le citoyen se sent avant tout citoyen du pays de sa nationalité avant d’appartenir à sa région. C’est un constat, les régions sont plus ou moins bien intégrées à leur pays ; il y a des zones de richesses, des poches de pauvreté et des bassins industriels dont les revenus par habitant diffèrent énormément. Les cartes économiques reconstituées à partir des flux d’échange ne ressemblent guerre aux cartes que découpent les frontières. Les écarts entre régions riches ( Ile de France, Alsace…) et régions pauvres ( Nord industriel, Provence Côte d’Azur) n’ont cessé de s’accroître depuis les années 70. Ceci est tout aussi vrai pour les autres régions d’Europe. Il suffit de comparer les taux de chômage par région, ils se situent entre 4 et 25 %. Ce qui n’est pas normal, c’est que dans plusieurs régions, des taux élevés se maintiennent sur de très longues périodes. S’il y avait eu des mouvements démographiques des régions à chômage élevés vers les régions voisines qui tendent vers le plein emploi, les taux de chômage auraient du converger vers une même valeur. On sait bien sûr expliquer cette absence de rééquilibrage ; dysfonctionnement des marchés, manque de flexibilité, inadéquation de l’
offre à la demande, résistance face au changement, espoir d’une amélioration locale… Mais on oublie souvent les conditions économiques individuelles. Les niveaux de loyers, les frais de transport, et les prix des services dans les régions dynamiques sont tels qu’ils n’incitent guère le chômeur à quitter sa région, et ce, compte tenu des perspectives de revenu qu’il escompte surtout lorsqu’elles sont proches du SMIG. Il ne faut donc pas s’étonner si en région parisienne on manque de certains métiers manuels à bas revenus. A l’inverse, beaucoup de salariés d’IDF rêvent de déménager en province en conservant leurs salaires de « parisiens ».
Au-delà des problèmes sociaux communs aux poches de pauvreté, il faut reconnaître qu’une politique économique globale, européenne ou nationale pourra être adaptée aux conditions économiques des régions riches mais pas à celles des régions pauvres. Il y bien sûr les aides régionales qui soulagent mais elles n’ont pas vraiment réussi à gommer les inégalités. L’ Italie du sud souffre d’un Euros fort et les consommateurs des régions riches ne se plaignent pas des prix des produits qu’ils importent. On a vu que certains nordistes italiens souhaitaient une scission entre l’Italie du Nord et celle du sud.
Ces disparités économiques qui perdurent dans des régions de toute l’Europe devraient nous inciter à reconsidérer les bilans et états qui prétendent décrire des situations homogènes car les économies de ces régions n’ont pas d’influence sur le reste de l’économie du pays auquel elles appartiennent. Des mouvements démographiques trop lents, donc peu de pressions sur les salaires. Le système économique se comporte donc comme une juxtaposition de sous-systèmes autonomes n’ ayant pas d’influence les uns sur les autres. Progressivement, les régions pauvres s’isolent sur le plan économique mais aussi dans les domaines culturels et sociaux avec tous les phénomènes de marginalité, d’illégalité, de désespoir, mais aussi d’adaptations ( petits bouleaux, travail au noir, constitution de clans, solidarité familiale, etc. …), qui ne règlent pas le problème mais calment les revendications.

                                                      L’illusion graphique

Pour répondre au profond besoin de savoir où l’on va, on utilise des graphiques de statistiques de long terme. La
vision de la courbe donne au lecteur l’impression de pouvoir détecter une tendance et donc d’en extrapoler une
prévision. La longueur des séries statistiques ainsi que leur stabilité rassurent. Elles donnent au lecteur le sentiment que les choses se comportent de manière déterministe, avec inertie. La stabilité du taux de chômage sur plusieurs décennies ne peut faire croire au lecteur que le retour au plein emploi ne sera qu’une question de mois. Mais l’apparition de cycles et de fluctuations croissantes, fait naître le besoin de désagréger les grandes valeurs de l’économie, par branches, par fonctions, dans le but de rechercher les valeurs en décroissance et de détecter celles qui émergent. Mais la désagrégation se traduit par des fluctuations plus fortes et l’exercice s’avère alors plus difficile. La rigueur et la pertinence ne peuvent alors être apportés que par les modèles économétriques.
L’analyse des données historiques dessine sur une même courbe une situation actuelle et une situation passée ;implicitement, on fait donc l’hypothèse que les choses sont comparables, ce qui en soi est discutable. Les comportements,les variables de productivité, les produits et services offerts actuels et passés n’ont en commun que le fait d’être financièrement valorisés ( sur ce point de la productivité et de la difficulté de comparer des produits dans le temps, voir l’article « Productivité, mondialisation et services »)
Mais l’intérêt de l’analyse dans le temps est aussi de permettre la détection de ruptures et de nouvelles tendances que les agents économiques perçoivent en temps réels mais dont ils ne peuvent évaluer l’importance et les impacts.

                                                     Les bons et les mauvais pays

Quand l’analyse historique ou géographique ne donne pas satisfaction, on cherche alors à effectuer des comparaisons entre pays. Il s’agit de faire des classements et d’en rechercher les causes à partir des structures spécifiques de chaque pays. On voudra par exemple relier les taux de chômage au type de système mis en place (français, japonais, allemand, anglais,… ). La méthode établit un classement entre bons et mauvais élèves, par une mise en valeur de la spécificité du pays où les choses se passent bien puis, suggère de faire adopter aux mauvais élèves les structures des bons. Le contenu politique est évident et sert à justifier telle ou telle orientation fondamentale. Pour autant la comparaison ne dit pas si la bonne structure est importable ou si elle fait parti d’un ensemble non dissociable de comportement et de culture. L’intérêt réside plus dans le fait que les jugements sont alors moins binaires. L’application du libéralisme, n’est pas quelque chose que l’on puisse définir en soi mais par rapport à des situations ( secteur de l’ énergie, droit du travail, etc. ) ; Pour une situation donnée on devrait répondre à la question de savoir si l’on va, vers plus ou vers moins de libéralisme. Le débat sur le libéralisme est beaucoup plus riche lorsque l’on relativise les niveaux de libéralisme entre pays car on peut alors parler d’orientations possibles et surtout de leur faisabilité.

                                                                  Les fondements théoriques
En général, les débats, entre experts ou politiques, font, consciemment ou non, référence, à des fondements théoriques ; car il faut expliquer les choses. L’explication répond au besoin de désigner la cause d’un phénomène ; il en a toujours été ainsi. En économie, bien que tout le monde s’accorde à admettre que l’on est dans le règne de l’interdépendance, il y a une tendance naturelle à privilégier l’analyse mono causale. Seuls les amoureux de la complexité respectent le principe de l’interdépendance mais au risque de noyer les explications et d’ennuyer le lecteur. Par sa simplicité l’explication mono causale plait au politique et permet d’identifier LA variable sur laquelle ON pourra agir. L’explication est-elle nécessaire ? Pas forcément, pour l’entrepreneur qui doit prendre une décision dans une nouvelle conjoncture, le constat d’une tendance suffit, « Si l’Euro baisse, nous devrons anticiper une croissance de la demande, et planifier une relance de nos productions… »
Mais l’explication, c’est à dire, la mise en valeur de relations de causalité entre des variables renforce l’idée que l’on se fait de leurs tendances. Elle a également pour vocation de distinguer ce qui se comporte de manière déterministe de ce qui évolue de façon erratique. La référence à des fondements théoriques pose des questions bien plus vastes et notamment celles de l’équilibre. L’élaboration de diagnostics passe par la mesure des déséquilibres de tous ordres, walrassien, keynésien, marxiste… Dans un deuxième temps, on désigne le ou les responsables ( coupables). Prenons l’exemple du chômage : les causes qui reviennent le plus souvent sont : -le manque de flexibilité du marché de l’emploi – un code du travail trop protecteur – l’inadéquation de l’offre à la demande – des charges trop élevées – les délocalisations – la surcharge pondérale de l’état -la nécessité de rééquilibrer le budget – l’excès d’épargne – le tassement de la consommation – le manque d’investissement – le manque de concurrence – l’excès de concurrence – la croissance molle – la mondialisation, etc … Selon l’appartenance politique, la désignation du ou des coupables est en cohérence avec la cause privilégiée. Il en sera de même pour la ou les solutions proposées.
Dans l’absolu, l’impartialité et l’objectivité n’existent pas et l’économie est un domaine dont le caractère de
scientificité fait toujours débat. Par leur formation et leurs réflexions, la majorité des économistes ont bien
conscience des problèmes de méthodes et des présupposés idéologiques qu’ils doivent cerner ; mais la volonté de convaincre l’emporte parfois sur l’obligation de coller à l’objectivité. La mesure de l’écart avec les objectifs fixés par la politique économique est une autre manière de mesurer les déséquilibres, à cette nuance près que la plupart du temps les gouvernements établissent des priorités entre les différents objectifs à atteindre, pensant ainsi pouvoir ménager la chèvre et les choux. Par ailleurs les politiques ont des contraintes de calendrier et malheureusement le passage d’un état à un autre est rarement décrit. On se contente de dire ou l’on est et où l’on va mais sans dire comment, ni surtout sous quel délai ; le cas de la Russie après la chute de l’économie planifiée ou ceux des projets du FMI en Afrique en sont des exemples flagrants. L’absence de soin accordé au scénario de passage d’un état vers un autre est bien souvent la cause d’ échecs politiques.
Il y a bien sûr une multitude d’autres éléments d’analyse dont l’utilisation est discutable pour faire l’état d’une
économie. Quelle que soit l’approche utilisée pour décrire une réalité et avec la meilleure volonté, il restera difficile d’échapper aux intentions, aux objectifs et aux oublis. Seuls les débats permettent de mieux positionner les points de vues et les analyses, mais attention à la synthèse car la moyenne arithmétique de deux mensonges ne rétablit pas la vérité.

Bernard Biedermann
Conjoncture et Décisions
https://www.theoreco.com
juin 05

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