L’efficacité marginale du capital

1. Présentation de l’efficacité marginale du capital keynésienne

La définition de l’efficacité marginale du capital fait l’objet d’un chapitre entier de la Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie, le chapitre 11. Dès les premières lignes Keynes nous donne une définition largement reprise dans la littérature économique : « plus précisément nous définirons l’efficacité marginale d’un capital le taux d’escompte qui, appliqué à la série d’annuités constituées par les rendements escomptés de ce capital pendant son existence entière, rend la valeur actuelle des annuités égale au prix d’offre de ce capital ». L’importance de la place prise par ce concept dans le modèle de la Théorie Générale et la nécessité de positionner l’otm nous incite à en revoir les mécanismes.

L’efficacité marginale du capital (emc) est une variable globale représentée par un taux exprimé en pourcentage, analogue à celui du taux d’intérêt, mais «intrinsèquement autre chose que le taux de l’intérêt », car « la courbe de l’efficacité marginale du capital gouverne les conditions auxquelles les fonds à prêter sont demandés pour faire de nouveaux investissements et que le taux d’intérêt gouverne les conditions auxquelles ces fonds sont actuellement offerts ». L’emc est avant tout un concept dans la mesure où elle synthétise plusieurs autres variables de base du modèle keynésien. Elle dépend «en partie du volume actuel de l’équipement, qui est un des facteurs donnés, mais en partie aussi de l’état de la prévision à long terme, qui ne peut être déduit des facteurs donnés » (T.G., chap.18).

Les variables qui composent l’emc sont les suivantes:
• puisqu’il y a anticipation de revenus qui résulteront des capitaux actuels et projetés, l’emc intègre, pour chaque période, des valeurs anticipées des quantités de bien et de leur prix ,
• le coût des capitaux actuels (équipement, capital circulant),
• le coût du travail, c’est-à-dire les salaires anticipés,
• les coûts financiers anticipés ,

Notons que dans la définition qui précède, Keynes parle de volume d’équipement, c’est-à-dire de quantités et non pas de valeurs et qu’il ne fonde pas la prévision à long terme sur les données du passé récent. De plus, l’emc s’appliquant à « un » capital apparaît plutôt comme un concept du domaine de la microéconomie, susceptible d’être agrégé au niveau de la branche d’activité et au niveau macroéconomique.

La caractéristique d’importance est que l’emc est une variable de comportement relevant de la psychologie des entrepreneurs en tant qu’ils ont à prendre des décisions d’investissement à partir de variables escomptées et anticipées sous des contraintes de risques probabilisables et incertains. Puis Keynes élargit le champ et ajoute qu’elle est déterminée non plus uniquement par « l’opinion la plus éclairée mais par l’évaluation du marché, telle que la fait la psychologie de masse » (T.G., chap.13).

C’est aussi une variable environnementale car la perception et l’opinion des entrepreneurs subissent l’influence des faits ou tendances par chocs indirects ou exogènes (climat, politique, guerres…). Dans ces conditions il n’y a rien d’étonnant à parler d’intuition, notion évidemment moins mathématique que celle de prévision. Lorsque l’analyse se situe au niveau global, elle dessine un périmètre d’application, avec un raisonnement à la marge, la totalité du capital présent, c’est-à-dire installé, avec prise en compte de ses taux d’utilisation, taux d’amortissement et des productivités actuelles et anticipées.

La décroissance des rendements du capital et le principe de maximisation du profit sont des hypothèses retenues a priori et justifiées par deux arguments: «Lorsque l’investissement dans un type quelconque de capital s’accroît durant une certaine période, l’efficacité marginale de ce capital diminue pour deux raisons à mesure que l’investissement augmente. D’abord le rendement escompté de ce capital diminue lorsque sa quantité augmente. Ensuite la compétition autour des ressources servant à le produire tend normalement à faire monter son prix d’offre…» (T.G., chap 11, l’EMC). Le calcul à la marge détermine la rentabilité de la dernière unité de capital qui a fait l’objet d’une mise en service à un certain taux de fonctionnement. Ceci ne veut pas dire que c’est la dernière unité mise en service, qui constitue la référence car le comportement de maximisation du profit impose que les unités de production utilisent d’abord les machines les plus rentables quitte ensuite à remettre en fonctionnement d’anciennes unités dont on avait suspendu l’activité.

En déduction de ces hypothèses, Keynes construit la courbe de l’investissement en fonction de l’emc. Il y a alors extrapolation de la rentabilité de l’unité marginale vers celle de l’investissement projeté, ce qui détermine une courbe selon laquelle il y aura investissement jusqu’au point où l’emc égalise le taux d’intérêt du marché. L’emc est par essence liée au temps. Par sa logique d’actualisation elle relie le futur au présent, en raison des variables d’anticipation soumises à des processus particulièrement complexes. L’horizon temporel est bien entendu le long terme mais il ne faut pas perdre de vue que les années proches (n + 1, n + 2) ont plus de poids dans les calculs d’actualisation que les années éloignées. L’emc est une variable fondamentalement virtuelle en ce sens qu’elle n’est pas vouée à se concrétiser. À la limite, une fonction de demande qui elle aussi est intangible se traduit à un moment ou un autre par des transactions. L’emc est par contre directement mise en comparaison avec le taux d’intérêt du marché, qui lui est bien réel.

La valeur du taux de l’emc est continue, fluctuante et volatile. Concernant sa continuité, on peut en toute rigueur imaginer des situations (catastrophes, guerres…) pendant lesquelles tous les projets d’investissements de tous les entrepreneurs sont complètement mais temporairement suspendus. Mais, en conjoncture normale, « à mesure que s’accroîtra le stock des richesses qui ont à l’origine une efficacité marginale du capital au moins égale au taux de l’intérêt, leur efficacité marginale tendra à diminuer… Un moment viendra donc où il ne sera plus avantageux de continuer à les produire, à moins que le taux de l’intérêt ne baisse parallèlement » (T.G., chap. 17).

Dans le modèle global, l’emc est généralement présentée comme une variable exogène, agissant « en amont », parallèlement à la propension marginale à consommer. À côté de la propension marginale à consommer, elle se positionne comme le deuxième pilier actif de la demande effective. Ceci est bien entendu d’importance dans la mesure où les cycles économiques sont en partie induits par les variations de l’emc. Par ailleurs, elle subit une certaine influence du taux d’intérêt anticipé : « l’attente d’une diminution du taux de l’intérêt abaisse la courbe de l’efficacité marginale du capital. Elle signifie en effet que la production obtenue à l’aide de l’équipement créé aujourd’hui devra concurrencer pendant une partie de l’existence de cet équipement la production qui sera obtenue à l’aide d’un équipement auquel suffira une moindre rémunération » (T.G., chap 2, l’EMC). Keynes précise néanmoins que cette influence n’est pas très importante et qu’il serait illusoire de se servir de cette relation en politique économique, car « Il est probable en effet que les fluctuations dans l’estimation de l’efficacité marginale du capital des divers types de capitaux […], seront trop considérables pour qu’on puisse les compenser par les variations possibles du taux de l’intérêt », (T. G., chap.12, L’Art de la prévision à long terme). L’emc est opérante dans le cadre de mécanismes de décisions d’investissement, il y a comparaison permanente et exclusive entre la valeur de l’emc et le(s) taux d’intérêt. Il y a investissement lorsque (et surtout dès que) l’emc est supérieure au taux d’intérêt. La courbe de l’investissement, fonction du taux d’intérêt, est une fonction continue dès que l’emc est supérieure au taux. Plus précisément, Keynes introduit la notion d’incitation à investir qui « dépend de la relation entre la courbe de l’efficacité marginale du capital et la gamme des taux d’intérêt afférents aux prêts d’échéance et de sécurités diverses », (T.G., chap. 3, Le principe de la demande effective).

Au sujet de la forme de la courbe, Keynes précise que « lorsqu’une variation se produit dans le rendement escompté du capital ou dans le taux de l’intérêt, la courbe de l’efficacité marginale du capital est telle qu’il y a une grande disproportion entre cette variation et celle qui en résulte dans le flux de l’investissement nouveau ; autrement dit les variations modérées du rendement escompté du capital ou du taux de l’intérêt ne sont pas associées à des variations très considérables du flux d’investissement ». Si la relation entre l’emc et l’investissement est décroissante, ce n’est pas uniquement à cause de l’hypothèse des rendements décroissants des équipements mais aussi parce que « les meilleures opportunités étant saisies en premier, il ne reste ensuite que les projets les moins rentables » (Pascal Combemale, Introduction à Keynes p. 48, Repères). La courbe s’incline donc vers la verticale au fur et à mesure que l’économie se rapproche du plein emploi. Mais il ne faudrait pas perdre de vue que le concept d’emc définit avant tout le processus par lequel le système va déterminer le niveau de l’investissement, deuxième pilier de la demande effective, et donc du niveau du revenu global par le biais du multiplicateur et de l’accélérateur. Le principe du fonctionnement de l’emc avec le taux d’intérêt en tant que facteur d’incitation à investir est rarement remis en cause par les économistes, tout au plus admet-on que l’élasticité de l’investissement par rapport au taux d’intérêt est faible.

2. Remise en cause

Le principe, la définition et la valeur explicative de l’emc ont rarement fait l’objet de remises en cause fondamentales, sans doute en raison de la puissance du concept de la demande effective dont fait partie l’emc. Nous voudrions cependant soumettre au lecteur quelques critiques de cohérence interne. Périmètre d’application.

Concernant le périmètre d’application nous admettons que, du point de vue de la théorie, en tant qu’elle vise une explication globale, complète et exhaustive, l’approche de Keynes intégrant le parc de capital se justifie. De plus, dans toutes les théories économiques pré-keynésiennes, le capital est intégré dans sa totalité, ce qui permet d’établir et de préciser la relation entre le stock de capital et le niveau de revenu réalisé, et ce en valeur absolue. Nous posons ici la question de savoir si, pour expliquer les variations du revenu global, ce qui après tout est la préoccupation première de Keynes, l’intégration de l’investissement incrémental dans la totalité du capital n’est pas en fait un handicap qui n’apporte pas grand chose. L’entrepreneur qui fait un projet d’un nouvel investissement tient compte implicitement de l’existant dans ses prévisions de ventes. Une partie du capital actuel est conservée encore quelque temps et il y a encore des amortissements en cours, le nouveau produit n’est pas remplacé immédiatement, le personnel est réaffecté en partie, etc., ce qui fait que l’influence des ressources actuelles sur les prévisions du futur investissement est bien prise en compte, et il n’est donc pas nécessaire de tenir compte de la totalité du capital pour expliquer le rendement des investissements futurs.

Proportion relative de l’investissement par rapport au stock de capital.
Il faut bien reconnaître qu’au niveau macroéconomique le rapport :

Investissement net anticipé /stock total de capital existant, est relativement faible.

Ceci implique que la variation de rendements sur le nouveau stock de capital suite à la réalisation de l’investissement est elle aussi faible, sauf sur le long terme. Mais comme la courbe de l’emc vise à expliquer le niveau de l’investissement sur le court terme, à une période T l’hypothèse des rendements décroissants sur la courbe de l’emc s’avère alors de peu d’utilité opérationnelle.

Raisonnement marginaliste

L’approche par l’efficacité marginale se fonde sur le principe de la comparaison d’une unité en service avec l’unité projetée.

Comme on l’a vu plus haut la dernière unité mise en service (machine, ordinateur, processus de production, services de maintenance…) n’est pas celle qui a la productivité la plus forte, bien au contraire. En toute logique l’entreprise met d’abord en service les unités dont la productivité est la plus élevée. Il doit donc y avoir comparaison de la rentabilité de l’investissement prévu avec celle de l’équipement dont la rentabilité est en principe la plus élevée. Ceci est particulièrement vrai dans les économies modernes où la croissance de la productivité des équipements est une contrainte permanente et continue.
Mais, en termes d’ancienneté, les ensembles d’unités de production sont de nos jours relativement peu homogènes. Ce qui implique que la comparaison entre des unités dont les productivités respectives diffèrent peu est illusoire. La notion de productivité marginale ne peut alors être retenue. En réalité, la comparaison s’effectue à partir d’écarts de productivité d’au moins 20 %, ce qui correspond à des écarts importants entre unités d’anciennetés différentes, calculés à l’occasion d’une refonte complète du système de production. La coexistence d’unités d’anciennetés différentes dans un même ensemble de production est de plus en plus rare en raison d’incompatibilités technologiques ou normatives. De surcroît, quand à un processus de production n’est associée qu’une seule gamme de produit, le changement de gamme nécessite aussi celui de l’équipement productif.

Et même dans l’hypothèse d’homogénéité des équipements, ce qui permettrait une optimisation continue, on a du mal à imaginer des mises en service et des mises hors service se succédant sans cesse dans le but adapter à la production la combinaison d’unités optimale, si l’on considère toutes les charges dues aux révisions des plans de production.

Sur le court terme, c’est-à-dire dans des périodes où l’accroissement de productivité est très faible, la comparaison est pratiquement impossible ; sur le long terme, les conditions technologiques et les produits changent tellement que la comparaison est sans intérêt. Par ailleurs, les investissements projetés sont souvent liés à des nouvelles gammes de produits, adressant de nouveaux marchés, éventuellement distribuées par d’autres canaux de vente, ce qui conduit souvent les entreprises à dissocier les anciennes activités des nouvelles.

Pour ces quelques raisons le raisonnement marginaliste nous semble aujourd’hui largement dépassé.

Rendements décroissants du capital

Spécifiquement dans le cas des investissements d’innovation et de nouveaux produits, l’entreprise ne dispose d’aucun repère lui permettant d’anticiper une courbe à rendements décroissants. Au niveau global on peut par contre concevoir une courbe à rendements décroissants qui s’expliqueraient par le fait qu’en se rapprochant de la saturation des marchés des nouveaux produits en question, les affaires deviennent plus difficiles; mais une telle courbe présupposerait que les entrepreneurs aient tous une bonne connaissance de la taille du marché et des offres de leurs concurrents, ce qui est irréaliste dans le contexte de secret qui environne les décisions d’investissements relatives aux innovations. L’hypothèse des rendements décroissants anticipés par les entrepreneurs devrait plutôt être retenue dans le cas d’investissements de remplacement ou de croissance concernant des produits existants et ce, pour des raisons liées à la production elle-même et/ou parce que les entrepreneurs connaissent bien les coûts supplémentaires (coûts commerciaux et baisse de prix) d’un accroissement potentiel de leur part de marché. Mais quel que soit le type d’investissement il convient de préciser comment se construit la courbe d’emc. À un moment T, une entreprise E gère en phase de décision un projet d’investissement productif I qui a fait l’objet d’une sélection préalable. Ce projet est relatif à un produit P (ou à une gamme de produit si les équipements directs et connexes sont identiques) et répond à un besoin B du marché. L’entreprise en calcule la rentabilité R. Dans cette manière de poser le problème, à un seul produit correspondant à un seul marché, n’est associé qu’un seul équipement d’investissement. Le fait de préciser cette double objection est important car il pose la question de la forme de la courbe de l’emc et de l’hypothèse des rendements décroissants qui la sous-tend dans la logique keynésienne. En effet, pour répondre à un besoin B du marché, les entrepreneurs ne retiennent, en général, au moment précis de la phase de décision, qu’un seul projet et non pas plusieurs comportant divers niveaux de rentabilité, la sélection ayant été faite au préalable pendant la phase des études. Le cas du projet qui comprend plusieurs hypothèses de niveau de part de marché (en fait, des quantités anticipées différentes) ne permet pas de remettre en cause cette approche de projet unique sauf à considérer que quelle que soit la part de marché, aussi grande soit-elle, la rentabilité est toujours la même. Dans ce dernier cas, qui serait en contradiction avec le fait que lorsque l’on tend vers la saturation du marché les prix ont tendance à diminuer, le niveau de l’investissement serait alors naturellement limité par les possibilités liées à la taille de l’entreprise. Le cas d’un projet en plusieurs lots répartis dans le temps ne s’applique pas non plus car le principe du lot est justement de donner à l’entrepreneur la possibilité, à chaque période T + 1, T + 2…, de pouvoir reconsidérer la rentabilité du lot L + 1, L + 2 etc. Le contre argument consisterait à citer le cas de l’entreprise qui projette d’ouvrir des pizzerias dans un certain nombre de villes ; la logique et la forme des rendements décroissants voudraient que l’entrepreneur, en fonction d’une courbe à pente négative, ouvre d’abord les pizzerias dont la rentabilité escomptée est la plus élevée puis dans les villes où la rentabilité est moins élevée et ainsi de suite jusqu’à ce que le taux d’intérêt du marché soit supérieur aux taux de rentabilité escomptés de la dernière pizzeria ouverte.
Considérons alors que l’emc est « calculée » dans une période bien précise, ce qui signifie que dans une période ultérieure le niveau de l’emc change.

Considérons également l’alternative suivante :
• les décisions d’ouvrir les pizzerias sont toutes prises de façon centralisée par une même personne quelle que soit la ville ;
• les décisions d’ouvrir les pizzerias sont toutes prises de façon décentralisée par autant de responsables qui ne se connaissent pas et ne reçoivent aucune consigne financière de la direction. Dans le deuxième cas (décentralisé) on ne peut parler de rendements décroissants pour les raisons exposées plus haut. En effet, si le responsable connaît le marché des consommateurs de sa ville, on ne voit pas pourquoi il envisagerait plusieurs options de capacité de production sauf à faire l’hypothèse que l’imperfection de l’information ne permet pas la mesure précise du marché, ce qui voudrait dire que la décroissance de la productivité est fonction du degré de perfection de l’information, argument qui ne tient pas. Dans le premier cas (la décision centralisé d’ouvrir les pizzerias dans la période considérée), de deux choses l’une :
• ou bien l’entrepreneur considère qu’il s’agit d’un unique projet et c’est la rentabilité financière globale qui déterminera la décision ;
• ou bien il y a autant de projets que de pizzerias, ce qui revient à dire qu’il y a autant de marchés et de consommateurs qu’il y a de villes. Tout se passe alors comme s’il s’agissait de projets différents et dans ce cas il n’est pas économiquement cohérent d’agréger leurs capitaux respectifs.

Pour toutes ces raisons, et si l’on suppose qu’il y a maximisation du profit, nous ne pouvons retenir l’hypothèse qu’au niveau micro-économique l’entrepreneur retienne dans son calcul d’emc plusieurs projets relatifs à un même produit, avec des rendements différents, au moment où il a en main tous les éléments pour prendre la décision d’investir ou d’abandonner complètement le projet. Au niveau global, à une période donnée, nous concluons alors que l’agrégation de toutes les emc individuelles ne génère pas une courbe qui serait fonction du niveau de l’investissement prévu.

Forme de la courbe de l’EMC

De ce qui précède, il découle que l’emc macroéconomique soit la moyenne pondérée de toutes les emc individuelles, elle doit donc en toute rigueur être représentée pour la période T par un point associé à une valeur de niveau d’investissement et non plus par une courbe. La représentation habituelle de l’emc par une courbe décroissante indique, lorsque l’on se déplace sur cette courbe, ce qui se passerait si le niveau de l’investissement était supérieur ; mais elle ne peut pas prétendre représenter le comportement agrégé des entrepreneurs comme si, à tout moment, à chaque entrepreneur, était associée une courbe qui décrive l’ensemble des investissements d’un même produit, ce que nous contestons en tant que comportement microéconomique. Comme on le verra plus tard ceci ne remet pas en cause le fait que l’emc puisse évoluer dans le temps. Par ailleurs, si nous proposons d’abandonner le principe des rendements décroissant dans la variable emc, c’est-à-dire pour l’ensemble des projets anticipés, ceci n’implique pas pour autant qu’il faille également l’abandonner au niveau des variables réelles réalisées

Productivité du capital

Dans la réalité il est admis que la productivité du capital croit à un rythme annuel de l’ordre de 1,5 % par an dans une fourchette annuelle de 1 %. Elle est relativement stable et continue. Par ailleurs, dans toute décision d’investissement se pose la question de la productivité des nouvelles machines (équipement, service) par rapport aux anciennes. Les gains de productivité sont bien quelque chose de continu et non négligeable sur le court terme en tant qu’ils déclenchent des décisions d’investir. En conséquence il nous semblerait judicieux de ne plus considérer la « variable » progrès technique comme appartenant uniquement à l’approche de long terme, comme le fait Keynes dans la Théorie Générale. Progrès technique et production devraient être considérés comme les deux faces du ruban de Moebius, car bien que co-existants sur le court terme, les effets de leurs interactions ne se retrouvent que sur le long terme.

Substitution capital / travail

Bien que Keynes n’ait pas particulièrement développé ce point, il convient de rappeler que sur le court terme les décisions d’investissement liées à un effet de substitution capital / travail sont faibles en raison du fait que les augmentations du coût du travail sont minimes, et aussi pour des raisons techniques. En réalité, qu’il s’agisse de productivité ou de substitution capital /travail, on devrait intégrer le fait que l’entrepreneur qui doit prendre la décision d’investir a en permanence à l’esprit les avantages financiers que pourront lui apporter progrès techniques et substitution. Progrès techniques et substitution capital/travail sont en fait des variables continues et dotées d’un pouvoir explicatif à l’égard des décisions d’investissement sur le court terme. Mais leurs effets tangibles et mesurables sur l’économie ne peuvent être constatés que sur des résultats de long terme.

Mesurabilité

En raison de son hétérogénéité – aussi bien pour ce qui concerne l’équipement lui-même que pour son ancienneté –, la mesure du capital en termes d’unités physiques égales est en soi un exercice particulièrement délicat. En fait, il n’existe pas d’unités de mesure fiables, la seule issue étant alors de l’exprimer en valeur, ce qui n’est pas une tâche simple.

Automatisme

Il y a dans la théorie de l’efficacité marginale du capital un automatisme et une continuité entre les variations du taux d’intérêt et celles du niveau de l’investissement qui séduit l’économiste mais déçoit souvent le politique, lorsque la relance de l’activité se fait attendre, à la suite d’une baisse des taux par la banque centrale. Certains justifient ce retard de la reprise par une explication à deux variables : l’élasticité par rapport au taux d’intérêt d’une part, et la demande anticipée qui ne décolle pas d’autre part. Cette approche est discutable parce que l’efficacité marginale du capital intègre pleinement le niveau de la demande anticipée et que les autres variables de la définition de l’emc, amortissement du capital et niveaux de salaires, sont en général peu volatils. On peut généraliser cette affirmation aux anticipations de prix qui elles aussi fluctuent moins que les prix réalisés résultant d’une confrontation sur le marché. Il n’y a donc pas vraiment intérêt à « sortir » la demande anticipée du concept d’emc pour en faire une nouvelle variable explicative. On en revient donc à l’automatisme (les entrepreneurs investissant machinalement jusqu’à ce que l’emc atteigne le niveau du taux d’intérêt) que nous trouvons discutable car en réalité les entrepreneurs n’établissent pas de façon permanente le calcul de la rentabilité de l’unité marginale.

Termes

La question est de savoir si l’emc est une variable de long terme ou de court terme. La valeur de l’emc à un moment T résulte bien du calcul actualisé des variables anticipées correspondant aux périodes futures liées à l’investissement, et uniquement à l’investissement réalisé en période T, sans intégrer les investissements futurs des périodes t + 1, t + 2… Ceci n’a rien de handicapant pour expliquer le niveau de l’investissement de la période T, mais on ne doit pas alors qualifier le concept d’emc de variable de long terme. En fait, et il ne faut pas perdre cela de vue, Keynes explique les fluctuations de court terme par des anticipations fondées sur l’opinion que les entrepreneurs ont sur l’évolution des conditions de long terme alors que dans les modèles dits keynésiens de croissance de long terme l’emc est calculée sur le stock de capital au moment présent T, sans tenir compte de son évolution ; autrement dit, tout se passe comme si les entrepreneurs n’ajoutaient pas à leur capital actuel l’investissement net global des périodes à venir. De surcroît, au niveau microéconomique, l’entrepreneur n’anticipe pas les investissements prévus par ses concurrents. D’un autre point de vue, si l’on retient le principe exposé plus haut à propos de la substitution capital/travail, les notions même de court et long terme n’ont pas véritablement de justification dans une approche de causalités.

Complexité

Il faut bien reconnaître que le calcul de la rentabilité d’une unité marginale doit en toute rigueur tenir compte de toutes sortes d’éléments : degré d’amortissement des équipements en fonctionnement, taux d’utilisation et comparaison des productivités des diverses unités. Tout cela rend les calculs souvent complexes par rapport à l’objectif et, l’extrapolation de rentabilité à l’unité supplémentaire, comme nous l’avons vu plus haut à propos de la nouveauté et du progrès technique, est lui aussi fort discutable. Dans la réalité, les entrepreneurs ne « s’amusent » pas à calculer et recalculer à chaque période, la rentabilité escomptée de l’unité marginale de production. Même dans le cas d’un projet explicite d’investissement, toutes les variables qui composent l’efficacité marginale du capital ne sont pas forcément retravaillées, notamment dans le cas d’investissements de renouvellement ou d’extension d’équipements destinés à des biens déjà commercialisés. Ainsi, on fera l’hypothèse que les marges bénéficiaires constatées par produit, demeureront inchangées dans le cadre des productions futures, issues des nouveaux équipements, tout en intégrant l’évolution des gains de productivité. Dans ces cas, les entrepreneurs n’ont plus à faire jouer qu’une seule variable, celle des prévisions de quantités de produits vendus. Il n’est donc pas nécessaire de retenir les deux variables, la profitabilité et la demande, pour analyser à un moment donné les perspectives d’une conjoncture.

Management

On comprend également que la difficulté et la complexité conduisent les chefs d’entreprises à isoler les projets les uns des autres, par une définition précise de leur périmètre. Concrètement cela se traduit par la création d’un nouveau département (production, vente, marketing…), d’une nouvelle responsabilité, voire d’une nouvelle entreprise par externalisation ou filiation. Un des avantages de l’isolement est de permettre une meilleure visibilité.

Conclusions

Pour toutes ces raisons, il nous semble que si l’on veut rechercher une explication des variations de l’investissement au niveau macroéconomique, il nous faut détacher la « variable investissement » de celle qui prétend mesurer le stock total de capital existant. Les repères de la rentabilité future des investissements ne peuvent que partiellement être recherchés dans une situation actuelle. Ceci est une question de bon sens, les conjoncturistes le savent bien lorsqu’ils commentent une situation à un moment donné, et nous disent «… la confiance à long terme des investisseurs demeure solide », mais « il faudra attendre les résultats des prochaines semaines, prochains mois, pour pouvoir dégager les nouvelles tendances… ». Les situations où des résultats récents et mauvais n’affectent pas la confiance sur le long terme sont fréquents; et dans ces cas-là le calcul de l’emc dans laquelle la part des anticipations de la demande est fortement liée aux résultats actuels et relatifs à un équipement actuel, ne devrait pas être une composante essentielle du niveau de l’investissement. Nous devons donc introduire cette dichotomie, mais pour tenir compte de conditions spécifiques on peut néanmoins apporter quelques nuances : les investissements dans les secteurs dont l’activité, les produits, les marchés, les processus de production, demeurent stables sur la moyenne période peuvent être anticipés à partir du passé. De plus, concernant les propos précédents des conjoncturistes, il peut aussi y avoir des effets de retard, des décisions de projets d’investissements momentanément suspendues. Il n’en reste pas moins qu’une approche théorique qui se dégage du stock de capital apporterait plus de pertinence, de précision, et finalement plus d’efficacité.

A lire également : « Le numérique, c’est l’économique »

https://theoreco.com/le-numerique-c-est-l-economique.pdf

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