La conscience du système économique ; Que se passe-t-il dans la tête d’un dirigeant d’entreprise ?

Que se passe-t-il dans  la  tête d’un dirigeant d’entreprise, lorsqu’il a  traité  les problèmes opérationnels quotidiens,  et qu’il réfléchit,  avec un peu de recul, à la stratégie  que son entreprise doit adopter ?

Il y a  tout d’abord  l’humeur  du jour  qui conditionne   et influence  l’ensemble de ses activités cérébrales ; elle  est graduée de très pessimiste à très optimiste. Ces activités dites cérébrales, concernent   les dossiers   importants  qui doivent déboucher sur des prises de décisions planifiées,  comme par exemple : l’investissement, le niveau de l’emploi, la modification du catalogue de prix, l’évolution de l’offre,  le rachat d’entreprise concurrentes, les opportunités financières ou le développement des canaux de distribution …

Il y a aussi,  l’incertitude et la confiance, elles aussi  graduées. Toutes  deux   influencent directement ou indirectement les processus de décisions. En permanence, les dirigeants cherchent les moyens de ressentir   plus de certitude et plus de confiance. Pour  aller vers plus de certitude on choisira  des traitements comme,  la recherche d’informations complémentaires (études de marché , expertises,  analyse  économique, espionnage…),ou  bien,  un comportement de mimétisme  , de conventions  ou de procrastination  .

La confiance  est une espérance de fiabilité dans le futur,  applicable à des relations entre hommes ou avec des institutions, ainsi qu’à des données ou des faits. Elle est souvent liée à l’incomplétude des contrats. La confiance n’est pas l’optimisme. A l’opposée, la  défiance  est plus difficile à traiter que l’incertitude car elle concerne des choses que le dirigeant ne peut contrôler.

A ces sentiments s’ajoute  l’intention  voire  l’obligation d’inventer un  nouveau produit   , ce   qui s’oppose à l’imitation  du concurrent. Les niveaux d’incertitude et de confiance contraintes par l’obligation d’optimiser   influencent  ainsi  les délais de décision.

Le rôle de l’information est primordial car il  constitue l’un des  fondements des anticipations. Il convient de   distinguer le flux continu  des informations   reçues   par les décideurs  des informations recherchées par eux-mêmes, ayant un coût et un objectif  précis. Dans les deux cas il y a un jugement  porté sur chaque information avec pour objectif d’aller du flou au plus précis et  vers plus de cohérence. Il y a  aussi une  pondération de l’importance à lui accorder : évaluation  de sa validité, de sa marge d’erreur, de son émetteur et   estimation  de sa durée de vie et de son degré de confidentialité.  Il est  dans la nature  humaine d’extrapoler  les résultats des études et de  rechercher des explications. Il y a également  un besoin de se rattacher à quelque chose de comparable comme par exemple au plus fort  du choc de 2008, on   devait de  remémorer  la crise de 1929.

Ainsi, il y a un stock  vivant  d’informations, avec  input et  output, et  accessibilité   selon leur degré d’utilité.  Le niveau de la   pondération    imputée à   toute information  évolue dans le temps  de manière continue.

Toutes  ces activités cérébrales concourent aux prises  de  décisions qui se  concrétisent  par  des  contrats constituant  ce que l’on appelle  l’économie réelle. L’économie réelle fait l’objet d’agrégations de la valeur ajouté de chaque   secteur  d’activité  et  globalement    jusqu’au PIB  national.

Nous  suggérons  alors d’imaginer que  toutes  les activités cérébrales constituent elles aussi une  espèce d’agrégat. Bien entendu cette construction  d’une macro sphère cérébrale relève de l’imaginaire   en  raison de l’impossibilité d’évaluation numérique exhaustive  mais  elle nécessaire pour la suite de la démonstration.

La macro sphère cérébrale

Régulièrement les  instituts de sondage publient des études de  conjoncture globale, ou sectorielles comportant des informations par rapport auxquelles les dirigeants vont  positionner leurs activités  et éventuellement  réajuster leurs prévisions. Les chiffres peuvent être les  résultats officiels de l’Insee, des prévisions établies sur la base de ces résultats, des publications à court terme  par branche ou par entreprise, des prévisions sur les résultats ou sur  des sondages auprès des entrepreneurs. Ces données  ainsi que les études de marchés propres à l’entreprise  sont analysées, évaluées et  interprétés   par les différentes  directions concernées. Ce qu’il faut bien appréhender, c’est le fait que  les entreprises, ainsi que les consommateurs de plus en plus observés par Internet !, pour leurs décisions importantes, analysent ces données qu’ils ont eux même constituées : de manière continue,  les observés  sont également des  observants.  Evidemment, cette observation  de l’économie sur elle-même  ne concerne  que les économies  développées dans lesquelles le  marché  de l’information est considérable.

La conscience du système économique

Reprenons   les caractéristiques   de  la macro sphère cérébrale   dont la fonction  primordiale  est la prise de décision. Humeur,  degré de certitude, niveau  de confiance, auto-analyses, jugements, besoin de comprendre, vécu temporel, imagination, mémoire,    constituent  les  paramètres   du fonctionnement de cette    macro  sphère  cérébrale. La question est alors de  savoir si cette sphère n’est  pas  comparable  à la conscience humaine ?  La conscience humaine présente la spécificité  d’ « avoir conscience d’elle-même ». Contrairement à l’homme,  l’animal qui regarde une table n’a pas conscience qu’il est entrain de regarder la table.

Dans cette hypothèse, un système économique doté « d’une conscience »   doit alors     « pouvoir    choisir,  un peu  comme l’homme ». Dans ce cas, il serait logique de penser  que le système économique  est   en partie  imprévisible  avec  des  effets de surprise. On peut aussi penser que ,comme la  conscience , un système économique  a la capacité  d’ imaginer, d’inventer et  donc de  choisir un  changement  c’est-à-dire de  passer   à  quelque chose de nouveau , opération souvent    imprévisible. « Quand on touche aux questions sociales, on se heurte à une pierre d’achoppement .C’est autre chose de prédire l’avenir quand des êtres humains sont en jeu, si on les considère somme des êtres vivants doués  de libre arbitre »( Le cygne  noir,  Nassim Nicholas Taleb).

Face à l’indéterminisme, on utilise alors  les probabilités, ce qui n’est pas  systématiquement  efficace lorsque le changement est fréquent. En réalité, on se rend compte  ex post de la part importante de la  subjectivité appliquée  à ces probabilités. De plus la   méthode  avec laquelle les probabilités sont élaborées  change dans le temps. En période d’optimisme les investisseurs ignorent les signes évidents d’un risque croissant, à tel point qu’une myopie s’installe, quitte à  accepter des tendances de long terme complètement insoutenables. Précisons qu’il s’agit là d’attitudes conscientes.

Il y a, conscience des attitudes adoptées   mais aussi auto analyse  comme par exemple sur les marchés financiers  où les investisseurs  essaient tous,   de choisir les  titres  dont ils pensent qu’ils  seront achetés par beaucoup d’autres, avec  en  plus  l’espoir  d’ anticipations auto réalisatrices .

Les prix fixés par convention du fait que l’information  n’est pas suffisante ou trop chère ou trop longue à  produire n’échappent  pas à la conscience économique dans la mesure où  l’on accepte implicitement de reconduire le principe procédural de la convention.

Dès qu’une prévision est publiée, elle devient caduque par le fait même que les   entrepreneurs  la comparent à  leurs    propres prévisions  et le cas échéant  les corrigent. Lorsqu’un entrepreneur établit ses anticipations de ventes, prix et quantités d’un nouveau produit liées à un projet d’investissement, il assume aussi le fait qu’il devra, une fois le projet lancé, effectuer cette tâche régulière de prévision pour adapter l’offre à la demande. Autrement dit, l’entrepreneur anticipe ses futures activités d’anticipation.

Cette hypothèse d’une conscience du système économique va à l’encontre  des conclusions de la théorie des anticipations rationnelles. Cette dernière  démontre que  dans un système qui respecte toutes  les hypothèses  du marché parfait, le fait que tous les agents économiques  disposent  des informations dont ils ont besoin  implique  que le   système économique  devient déterministe.  Ceci est du au  fait que, dans la théorie des Anticipations Rationnelles,   les décisions de  production des entrepreneurs et des consommateurs sont conformes à ce qu’ils avaient préalablement anticipé.

L a composante déterministe  d’un système économique  s’explique    en parti  par le pourcentage  d’agents économiques qui pratiquent le mimétisme en période d’incertitude, ce qui relève  également de choix individuels. Le  mimétisme tend à créer du déterminisme par le phénomène de convergence qui à son tour, par exemple pour des anticipations de prix,  va réintroduire de la certitude, puis  à nouveau  des choix non convergents  qui, avec le temps, génèrent le retour de l’indéterminisme.

A l’opposé, l’absence de déterminisme d’un système économique  vient    du fait qu’une information est dite  partagée lorsque chacun la connaît et que chacun sait que chacun sait et ainsi de suite,  alors le système s’observe lui-même  et « se dote  d’une sorte de conscience » d’un niveau supérieure.           

Les  marchés des économies contemporaines ne fonctionnent plus comme ceux du 16 ième siècle pour lesquels  les informations   n’apparaissaient qu’au  moment de l’expérience d’échange sur le marché. Les outils comptables et statistiques diffusent depuis le siècle dernier un flux continu d’informations extraordinairement amplifié en volume et en vitesse  par le numérique. La question  serait alors de concevoir  l’histoire des systèmes économiques comme celle de l’apparition progressive de leur  conscience. Sur le plan théorique, l’importance accordée à l’information  dans laquelle  vit  l’entreprise est  relativement récente. Chez Keynes  elle jouait le rôle d’un traitement  à l’encontre de l’incertitude responsable  d’erreurs de coordinations avec impact sur le niveau de l’emploi. Chez les néoclassiques elle contribue à la  bonne mécanique de l’équilibre  sur tous les marchés.

Le contenu de cet article a été intégré dans l’essai « Le numérique, c’est l’économique » accessible par l’article : Le numérique, c’est l’économique, en tête du blog :    

https://www.theoreco.com/macroeconomie-mondialisation/le-numerique-cest-leconomique-683.html 

Bernard Biedermann

Conjoncture et décisions

https://theoreco.com

avril 2014

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.